La ville de Strasbourg est localisée dans une région de sismicité modérée. Le séisme le plus fort connu dans la région est le séisme de Bâle, en Suisse, en 1356, d’une magnitude autour de 6.5, et depuis le début des années 1900, le séisme le plus fortement ressenti est celui du Jura Suabe en Allemagne d’une magnitude de 6.2 en décembre 1911. Cette sismicité à elle seule ne suffit pas à expliquer le développement de la sismologie à Strasbourg. Alors pourquoi l'implantion d'une station sismologique à Strasbourg ?
La sismologie à l'université impériale
A Strasbourg, l’histoire de la sismologie est étroitement liée à celle de l’université impériale. Après l'annexion de l'Alsace et de la Moselle à l'Allemagne suite à la défaite de 1870, Guillaume Ier puis Guillaume II mènent à Strasbourg une politique d'excellence afin de faire de la nouvelle université impériale, la Kaiser Wihlems Universität, une université de référence dans le domaine de la recherche fondamentale. Le pouvoir impérial cherche à attirer à Strasbourg l’élite universitaire germanique et dote l’université de moyens et d’infrastructures exceptionnels.
La sismologie est alors une science nouvelle et représente un enjeu innovant pour la toute jeune Université de Strasbourg. Jusqu’au dernier quart du XIXe siècle, la sismologie reste une science plus descriptive qu’expérimentale et qui se cantonne à des mesures locales. L’arrivée de nouveaux instruments permettant de mesurer les séismes lointains bouleversent les choses. Il est alors décidé d'investir dans l'implantation d'une station sismologique dans les jardins du nouveau campus de la Neustadt. Les premiers enregistrements de séismes ont débuté dès 1892 dans les sous-sol de l'observatoire astronomique, avec l’installation par l’astronome Ernst Rebeur-Paschwitz d’un pendule dont les mesures seront supervisées par le directeur de l’observatoire : Ernst Becker (1887 – 1909).
La nécessité d’un bâtiment dédié est portée à Berlin notamment par le directeur du département de géographie : Georg Gerland. Il entend faire de Strasbourg le centre de la sismologie mondiale. Il reçoit le soutien du puissant Conseiller d'État aux Universités : Friedrich Althoff. Ce projet s’inscrit dans la volonté de faire de Strasbourg un pôle scientifique majeur au service de la grandeur de l’Empire allemand.
La "Station centrale impériale pour la recherche en sismologie" (Kaiserliche Hauptstation für Erdbebenforschung) est inaugurée en 1900. Elle devient le point central de collecte des observations sismologiques pour tout l’Empire. La station prendra rapidement un rôle prépondérant dans l'évolution de la sismologie internationale devenant à partir de 1904, le siège du bureau central de l'association internationale de sismologie.
La station de sismologie est envisagée dès 1899. Le bâtiment est représenté sur un ancien plan de situation du campus de l’un des projets…qui n’a pas été réalisé.

Plan de 1899
Strasbourg au coeur de la sismologie internationale.
Dès 1901, une première conférence internationale de sismologie est organisée à Strasbourg. Il s’agit de créer une coopération entre les sismologues des différents pays, avec l'objectif de collecter et de mettre en commun les différentes observations faites à travers le monde. Elle vient matérialiser le rôle central de Strasbourg, et de l’Allemagne, dans la constitution d’un réseau international de collaboration entre les sismologues du monde entier.
Sous l’impulsion de Georg Gerland, ce premier congrès est un succès retentissant conduisant, dès 1903, à une seconde édition toujours à Strasbourg. 20 pays y sont représentés et il est discuté, en plus des résultats scientifiques, de la création d’une organisation internationale de sismologie. Le 1er avril 1904 est officiellement créée l’Association Internationale de Sismologie. Son bureau central est rattaché à la station de Strasbourg sur la direction de Georg Gerland jusqu’en 1910, puis d'Oscar Hecker. Elle regroupe d’abord 18 pays avant d’être rejointe tardivement par la France, d’abord méfiante, ainsi que l’Angleterre, le Canada, l’Autriche et la Serbie.
Les conflits mondiaux bouleversent quelque peu l’organisation mais sans jamais interrompre les travaux de l’association. En 1922, l’association est dissoute sous la direction d'Edmond Rothé, et une section de sismologie est créée au sein de l’Union Géodésique et Géophysique international (International Union of Geodesy and Geophysics ou IUGG en anglais), le bureau central est maintenu à Strasbourg. En 1951, l’Association Internationale de Sismologie au sein de l’IUGG prend son nom actuel : Association Internationale de Sismologie et Physique de l'Intérieur de la Terre (IASPEI). Beno Gutenberg, qui avait travaillé à la station de Strasbourg à partir de 1913 et jusqu'à la fin de la Première guerre mondiale, en devient président. Le bureau central est maintenu à Strasbourg jusqu'en 1971 sous la direction de Jean-Pierre Rothé (fils d’Edmond Rothé).

Photo des participants à la première conférence Internationale de sismologie à Strasbourg en 1901. Ils posent devant l'actuel Théâtre National de Strasbourg.
© DGG-Archiv
La station sismologique de Strasbourg
Dès la fin de 1918, les universitaires allemands sont contraints d’abandonner non seulement les locaux mais également l’ensemble de leur matériel, que les universitaires français sauront exploiter.
Pendant les premières années de fonctionnement de la station, un grand intérêt est porté à l’étude de différents instruments et à la comparaison de leurs enregistrements. Une grande variété d’instruments ont fonctionné à la station de façon plus ou moins pérenne : des sismomètres Rebeur-Ehlert, Omori, Milne, Vicentini, Wiechert, divers pendules Mainka, etc. La station sera également équipée d’une table vibrante conçue par Carl Mainka (travaillant à la station) pour permettre de caractériser les instruments. Cette période est également marquée par la publication des observations faites avec les instruments de la station de Strasbourg et d’une liste croissante de stations allemandes, puis d’ailleurs dans le monde, mettant en avant l’intérêt croissant pour la sismologie et la volonté de mettre en commun les observations.
En 1903, un pendule Wiechert horizontal d’une tonne est installé dans la station. Un pendule Wiechert vertical le rejoint de façon définitive en 1910. Ils ont fonctionné jusqu’en 1968, avec seulement quelques rares interruptions de fonctionnement pendant les deux guerres mondiales.
Les premiers instruments électromagnétiques (Galitzine) - préludes des instruments modernes - sont installés dans les années 1910 et ont fonctionné jusqu’à la fermeture de la station. Leur fonctionnement est interrompu pendant les grandes guerres pour cause de pénurie de papier photographique.
A la fin de la Première guerre mondiale, Edmond Rothé devient le directeur de l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg nouvellement créé au sein de l’université de Strasbourg. Il reprend également en charge la direction de la station centrale de Strasbourg et du bureau central de l’Association Internationale de Sismologie (AIS). En 1921, le Bureau Central Sismologique Français (BCSF) est créé et rattaché à l’institut de Physique du Globe de Strasbourg, et il est en charge de la collecte des observations sismologiques sur le territoire français.
Les années entre les deux grandes guerres sont marquées par l’installation d’un pendule de 19 tonnes. Cette installation répond au besoin d’avoir un instrument très sensible capable d’enregistrer les séismes locaux et régionaux (Vosges, Jura, Alpes, Forêt Noire, et graben du Rhin). Son installation a commencé avant la Première guerre mondiale, puis a été interrompue avant de reprendre en 1924 pour être finalisée en mars 1925. Il vient rejoindre deux autres pendules de grandes masses en fonctionnement dans la région pour l’étude de la sismicité régionale : celui de Göttingen (17 tonnes, installé en 1904 et celui de Zurich (20 tonnes, installé en 1923).
En 1968, les instruments mécaniques à enregistrement sur papier noir de fumée sont arrêtés, à cause de la reconnaissance des risques pour la santé associé à la préparation des papiers noirs de fumée. Seuls les instruments avec un enregistrement sur papier photographique continueront de fonctionner : les Galitzine, les Ewing-Press, le Peterschmidt. Le système d’enregistrement du 19T sera modifié et remis en fonctionnement en 1970 avec un enregistrement à l’encre sur papier.
A la fin des années 1960, l'urbanisme et le bruit croissants autour de la station engendrent des interférences d'enregistrements trop importantes. Les nouvelles installations de stations sismologiques se font désormais loin des villes. La station continuera de fonctionner jusqu’en décembre 1975.
En 1992, l’IPG fête les 100 ans d’enregistrements de séismes à Strasbourg par un colloque et une restauration des anciens instruments de mesure. Ils peuvent ainsi être exposés dans l’ancienne station : le musée de sismologie vient de naître ! Dès 1996, il ouvre au public de manière régulière.
Sur cette vue aérienne, le bâtiment de sismologie est visible au centre, dans la persepctive du Palais universitaire.

Le campus vers 1930